Le factoring face à l’abus de dépendance économique : enjeux et perspectives juridiques

Le factoring s’est imposé comme une solution de financement privilégiée pour les entreprises confrontées à des problèmes de trésorerie. Cette technique permet de céder ses créances commerciales à un établissement financier spécialisé, le factor, qui se charge de leur recouvrement en contrepartie d’une commission. Toutefois, la relation entre le factor et l’entreprise adhérente peut parfois basculer dans une situation de déséquilibre, soulevant la question de l’abus de dépendance économique. Cette problématique revêt une dimension juridique majeure dans un contexte où les PME, fragilisées par des délais de paiement allongés, deviennent vulnérables face aux conditions imposées par certains factors. L’analyse du cadre légal et jurisprudentiel révèle les tensions entre la liberté contractuelle et la protection nécessaire contre les abus de position dominante dans ce mécanisme financier.

Fondements juridiques du factoring et cadre réglementaire

Le factoring, ou affacturage en français, constitue une opération triangulaire mettant en relation trois acteurs principaux : l’entreprise adhérente (le cédant), le factor (le cessionnaire) et le débiteur (le client de l’adhérent). Du point de vue juridique, cette technique s’appuie sur plusieurs fondements légaux qui structurent son fonctionnement et encadrent les relations entre les parties.

En droit français, le factoring repose principalement sur le mécanisme de la cession de créances régi par les articles L.313-23 à L.313-35 du Code monétaire et financier, relatifs à la cession et au nantissement des créances professionnelles par bordereau Dailly. Cette cession permet le transfert de propriété des créances commerciales de l’adhérent vers le factor, qui acquiert ainsi tous les droits attachés à ces créances.

Le contrat de factoring, bien que n’étant pas spécifiquement réglementé en tant que tel, s’inscrit dans la catégorie des contrats d’adhésion définis à l’article 1110 du Code civil. Cette qualification n’est pas sans conséquence puisqu’elle soumet ces conventions aux dispositions relatives au déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, prévu à l’article 1171 du même code.

Par ailleurs, l’activité de factoring est soumise à la réglementation bancaire, les factors devant disposer d’un agrément en qualité d’établissement de crédit ou d’établissement de paiement conformément aux dispositions du Code monétaire et financier. Cette qualification les soumet au contrôle de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR).

Sur le plan européen, le factoring bénéficie d’un cadre harmonisé grâce à la Convention d’Ottawa du 28 mai 1988 sur l’affacturage international, ratifiée par la France. Cette convention définit l’opération d’affacturage et précise les obligations respectives des parties dans un contexte international.

Les caractéristiques contractuelles du factoring

Le contrat de factoring présente plusieurs caractéristiques juridiques distinctives :

  • Un caractère synallagmatique : chaque partie est débitrice et créancière de l’autre
  • Un caractère onéreux : le service est fourni moyennant rémunération
  • Un caractère successif : le contrat s’exécute dans la durée
  • Un caractère intuitu personae : la personnalité de l’adhérent est déterminante

Ces spécificités créent un cadre contractuel particulier où l’équilibre des forces peut facilement être rompu. La liberté contractuelle, principe fondamental du droit des obligations, se trouve parfois limitée par la position dominante du factor, capable d’imposer ses conditions à des entreprises en situation de fragilité économique.

Le cadre réglementaire du factoring, bien qu’établi, laisse une marge de manœuvre considérable aux factors dans la détermination des conditions contractuelles, notamment en matière de commissions, de taux d’intérêt ou de sélection des créances. Cette latitude contractuelle constitue la source potentielle d’abus de dépendance économique que le législateur et les juges tentent d’encadrer.

La notion juridique d’abus de dépendance économique

L’abus de dépendance économique représente une notion fondamentale du droit de la concurrence et du droit des contrats, visant à protéger les acteurs économiques vulnérables contre les pratiques abusives de leurs partenaires commerciaux en position de force. Cette notion trouve son ancrage juridique dans plusieurs dispositions légales qui ont évolué au fil des années pour répondre aux réalités économiques contemporaines.

En droit français, l’abus de dépendance économique est principalement régi par l’article L.420-2 alinéa 2 du Code de commerce, qui prohibe « l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur ». Cette disposition s’inscrit dans le cadre des pratiques anticoncurrentielles et peut donner lieu à des sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence.

La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a renforcé ce dispositif en introduisant dans le Code de commerce l’article L.442-6, I, 2° (devenu L.442-1, I, 2° depuis l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019), qui sanctionne le fait « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

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Critères de caractérisation de la dépendance économique

La jurisprudence a progressivement défini les critères permettant de caractériser une situation de dépendance économique :

  • La notoriété ou la puissance économique du partenaire dominant
  • L’importance de la part du chiffre d’affaires réalisée avec ce partenaire
  • L’absence de solution alternative équivalente pour l’entreprise dépendante
  • Le caractère imposé de la relation commerciale par le partenaire dominant

Dans son arrêt de principe du 12 octobre 1993, la Cour de cassation a précisé que « la seule circonstance qu’un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d’un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique […] encore faut-il que cette situation ne procède pas d’un choix délibéré de politique commerciale ».

Plus récemment, la jurisprudence a affiné cette notion en insistant sur la nécessité d’apprécier la dépendance économique de manière objective et contextuelle, en tenant compte des spécificités du secteur concerné et de la position respective des parties sur leur marché.

L’abus de cette situation de dépendance économique peut se manifester sous diverses formes : conditions tarifaires excessives, rupture brutale de relations commerciales établies, déréférencement injustifié, ou imposition de clauses contractuelles déséquilibrées. Dans le contexte spécifique du factoring, ces abus peuvent notamment se traduire par des modifications unilatérales des conditions financières, des refus arbitraires de financement, ou l’imposition de garanties disproportionnées.

La qualification juridique d’abus de dépendance économique ouvre la voie à plusieurs types d’actions : action en nullité des clauses abusives, action en responsabilité civile pour obtenir réparation du préjudice subi, ou saisine de l’Autorité de la concurrence en cas d’atteinte au fonctionnement du marché.

Manifestations de l’abus de dépendance dans les relations de factoring

Dans le cadre spécifique des relations de factoring, l’abus de dépendance économique peut se manifester sous diverses formes, révélant le déséquilibre structurel qui peut exister entre le factor, généralement une institution financière puissante, et l’entreprise adhérente, souvent une PME à la recherche de liquidités immédiates pour assurer sa survie économique.

Une des manifestations les plus fréquentes concerne les conditions tarifaires imposées par les factors. La commission d’affacturage, composée généralement d’une commission de financement et d’une commission de service, peut faire l’objet d’augmentations unilatérales et disproportionnées. Ces révisions tarifaires interviennent parfois dans des contextes où l’entreprise adhérente, déjà fragilisée financièrement, se trouve dans l’impossibilité de refuser ces nouvelles conditions ou de changer rapidement de prestataire sans mettre en péril sa trésorerie.

Les clauses d’exclusivité constituent un autre levier d’abus potentiel. Ces dispositions contractuelles obligent l’entreprise à céder l’intégralité de ses créances commerciales au factor, l’empêchant ainsi de diversifier ses sources de financement. Cette exclusivité renforce considérablement la dépendance de l’adhérent vis-à-vis du factor, créant une situation de captivité propice aux abus.

Les pratiques restrictives dans la sélection des créances

La sélection discrétionnaire des créances par le factor représente une autre manifestation problématique. Le contrat d’affacturage confère généralement au factor un pouvoir d’appréciation étendu quant à l’acceptation des créances proposées à la cession. Cette prérogative, bien que justifiée par la nécessité de maîtriser les risques, peut donner lieu à des refus arbitraires ou discriminatoires qui placent l’entreprise dans une situation financière périlleuse.

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 23 mai 2013 a d’ailleurs reconnu qu’un factor avait commis un abus en refusant systématiquement de financer les créances d’une entreprise sur certains de ses clients, sans justification objective et en contradiction avec les engagements initiaux.

Les garanties excessives exigées par les factors constituent également un terrain propice aux abus. Au-delà des mécanismes classiques comme le fonds de garantie ou la réserve, certains factors imposent des sûretés personnelles (cautionnement du dirigeant) ou réelles (nantissement, hypothèque) disproportionnées par rapport au risque réel encouru. Cette pratique transfère indûment le risque financier sur l’entreprise adhérente ou son dirigeant, dénaturant la fonction même du contrat d’affacturage.

La rupture brutale des relations contractuelles constitue sans doute la manifestation la plus grave de l’abus de dépendance économique dans le factoring. Lorsqu’un factor décide, sans préavis suffisant ou sans motif légitime, de mettre fin au contrat d’affacturage ou de suspendre ses financements, il peut provoquer une crise de trésorerie immédiate pour l’entreprise adhérente, parfois fatale à sa survie. La jurisprudence commerciale sanctionne régulièrement ces ruptures brutales sur le fondement de l’article L.442-1, II du Code de commerce.

Enfin, les clauses limitatives de responsabilité insérées dans les contrats d’affacturage peuvent révéler un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Ces clauses, qui réduisent considérablement la responsabilité du factor en cas de manquement à ses obligations, privent l’entreprise adhérente de recours effectifs en cas de préjudice subi du fait des actions ou omissions de son partenaire financier.

Analyse jurisprudentielle et évolution des positions des tribunaux

L’analyse de la jurisprudence relative aux litiges opposant factors et entreprises adhérentes révèle une évolution significative dans l’appréhension par les tribunaux des situations d’abus de dépendance économique. Cette évolution traduit une prise de conscience progressive des déséquilibres structurels pouvant exister dans ces relations commerciales particulières.

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Initialement, les tribunaux adoptaient une approche restrictive de la notion de dépendance économique dans le secteur financier. Un arrêt emblématique de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 3 mars 2004 avait ainsi jugé que « la seule circonstance qu’une entreprise se trouve dans une situation financière difficile ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique à l’égard d’un établissement de crédit ». Cette position jurisprudentielle, fondée sur une conception étroite des critères de la dépendance économique, limitait considérablement les possibilités de recours des entreprises adhérentes.

Toutefois, une inflexion jurisprudentielle s’est progressivement dessinée à partir des années 2010, les juges adoptant une approche plus contextuelle et économique de la dépendance. Dans un arrêt remarqué du 6 septembre 2011, la Cour d’appel de Paris a reconnu qu’une PME pouvait se trouver en situation de dépendance vis-à-vis de son factor lorsque « l’absence de solution alternative réaliste à court terme » était établie, compte tenu de sa situation financière fragile et des délais nécessaires pour mettre en place un nouveau contrat d’affacturage.

Les critères d’appréciation retenus par les juges

L’évolution jurisprudentielle a permis de dégager plusieurs critères spécifiques d’appréciation de la dépendance économique dans le contexte du factoring :

  • La situation financière de l’entreprise adhérente et son besoin vital de trésorerie
  • La part du financement assurée par le factor dans l’ensemble des ressources financières de l’entreprise
  • Les délais nécessaires pour mettre en place une solution alternative de financement
  • L’historique de la relation commerciale et le degré d’intégration du factoring dans le modèle économique de l’entreprise

Concernant la qualification d’abus, la jurisprudence récente a identifié plusieurs comportements susceptibles de caractériser l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique dans le factoring :

Dans un arrêt du 11 janvier 2017, la Cour d’appel de Versailles a considéré que constituait un abus le fait pour un factor de modifier unilatéralement et substantiellement les conditions financières du contrat sans préavis suffisant, alors que l’entreprise adhérente n’avait pas commis de manquement contractuel justifiant cette modification.

De même, dans une décision du 20 mars 2019, le Tribunal de commerce de Paris a sanctionné un factor pour avoir brutalement réduit la ligne de financement d’une entreprise sans motif légitime, provoquant sa défaillance. Le tribunal a relevé que cette décision, intervenue sans préavis ni concertation, était manifestement disproportionnée au regard de la dégradation limitée de la situation financière de l’adhérent.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 février 2020, a confirmé qu’un factor pouvait engager sa responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies en cas de résiliation anticipée du contrat d’affacturage sans préavis suffisant, même lorsque cette résiliation était formellement justifiée par une clause contractuelle. La Haute juridiction a ainsi privilégié une approche économique sur une lecture purement formaliste du contrat.

Parallèlement à cette évolution jurisprudentielle, l’Autorité de la concurrence s’est également saisie de la question des pratiques abusives dans le secteur du factoring. Dans un avis du 28 septembre 2018, elle a souligné la nécessité d’une vigilance particulière concernant les clauses d’exclusivité et les conditions de sortie des contrats d’affacturage, tout en reconnaissant la légitimité pour les factors de se prémunir contre les risques inhérents à leur activité.

Cette évolution jurisprudentielle témoigne d’une prise en compte croissante par les tribunaux des réalités économiques sous-jacentes aux relations de factoring et d’une volonté de rééquilibrer ces relations lorsqu’elles sont marquées par des abus manifestes.

Mécanismes de protection et recours des entreprises victimes

Face aux situations d’abus de dépendance économique dans les relations de factoring, les entreprises adhérentes disposent de plusieurs mécanismes de protection et voies de recours, tant préventifs que curatifs, leur permettant de préserver leurs intérêts légitimes.

Sur le plan préventif, la négociation précontractuelle constitue une première ligne de défense. Bien que les contrats de factoring soient souvent présentés comme des contrats d’adhésion, certaines clauses demeurent négociables, notamment celles relatives aux commissions, aux garanties ou aux conditions de résiliation. Les entreprises ont tout intérêt à solliciter l’assistance d’un conseil juridique spécialisé pour analyser les projets de contrat et identifier les clauses potentiellement abusives avant signature.

Le recours à la médiation du crédit, dispositif public créé en 2008 et piloté par la Banque de France, représente une alternative non contentieuse précieuse. Cette médiation peut intervenir en cas de difficulté liée à un contrat d’affacturage, notamment lors d’une réduction brutale des financements ou d’une dégradation des conditions contractuelles. Son taux de succès, supérieur à 60%, en fait un outil efficace de résolution des conflits.

Les actions judiciaires ouvertes aux entreprises victimes

Sur le plan judiciaire, plusieurs fondements juridiques peuvent être mobilisés par les entreprises s’estimant victimes d’abus :

  • L’action fondée sur l’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce sanctionnant le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties
  • L’action en responsabilité contractuelle pour inexécution ou exécution défectueuse des obligations du factor
  • L’action en nullité des clauses abusives sur le fondement de l’article 1171 du Code civil
  • L’action en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies (article L.442-1, II du Code de commerce)

La jurisprudence a progressivement précisé les conditions de mise en œuvre de ces différentes actions. Ainsi, dans un arrêt du 4 octobre 2016, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé qu’une clause permettant au factor de modifier unilatéralement et substantiellement les conditions financières du contrat sans motif légitime pouvait être annulée sur le fondement du déséquilibre significatif.

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De même, dans un jugement du 15 janvier 2018, le Tribunal de commerce de Lyon a condamné un factor à indemniser une entreprise pour rupture brutale des relations commerciales, après avoir constaté que le préavis accordé (un mois) était manifestement insuffisant au regard de l’ancienneté de la relation (cinq ans) et de l’absence d’alternative immédiate de financement pour l’entreprise.

En matière de preuve, qui constitue souvent un obstacle majeur pour les entreprises victimes, les tribunaux ont adopté une approche pragmatique. Dans un arrêt du 7 juillet 2020, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a ainsi admis que la preuve de la dépendance économique pouvait résulter d’un faisceau d’indices, incluant notamment des attestations de refus de financement émanant d’autres établissements financiers.

Les référés constituent également une voie procédurale efficace dans les situations d’urgence. Le référé-provision (article 835 du Code de procédure civile) permet d’obtenir rapidement une provision sur dommages et intérêts en cas de préjudice manifeste résultant d’un abus. Le référé-injonction peut quant à lui contraindre le factor à poursuivre temporairement le financement dans l’attente d’une décision au fond, évitant ainsi l’asphyxie financière immédiate de l’entreprise.

Sur le plan collectif, les actions de groupe introduites par la loi Hamon du 17 mars 2014 offrent théoriquement une possibilité de mutualisation des recours, bien que leur mise en œuvre dans le domaine spécifique du factoring demeure encore limitée en pratique.

Enfin, la saisine de l’Autorité de la concurrence constitue une voie complémentaire, particulièrement pertinente lorsque les pratiques abusives affectent le fonctionnement global du marché du factoring. Cette autorité dispose de pouvoirs d’enquête étendus et peut prononcer des sanctions pécuniaires dissuasives, allant jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial des entreprises concernées.

Perspectives d’évolution et rééquilibrage des relations contractuelles

L’avenir des relations entre factors et entreprises adhérentes s’inscrit dans une dynamique de transformation, tant sur le plan réglementaire que sur celui des pratiques commerciales. Plusieurs facteurs contribuent à cette évolution, dessinant les contours d’un rééquilibrage progressif des rapports de force.

Sur le plan législatif, l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce a renforcé l’arsenal juridique contre les pratiques commerciales abusives. La nouvelle rédaction de l’article L.442-1 du Code de commerce facilite la caractérisation du déséquilibre significatif et étend son champ d’application à l’ensemble des relations commerciales, y compris celles impliquant des prestataires de services financiers comme les factors.

Parallèlement, la directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, transposée en droit français par l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, renforce la protection des entreprises en difficulté face à leurs créanciers, y compris les établissements financiers. Ces dispositions limitent notamment la capacité des factors à résilier unilatéralement leurs contrats avec des entreprises engagées dans une procédure de prévention des difficultés.

L’impact de la transformation numérique

La digitalisation du secteur du factoring constitue un autre facteur de rééquilibrage des relations contractuelles. L’émergence de plateformes de fintech spécialisées dans l’affacturage digital offre aux entreprises des alternatives plus souples et transparentes aux solutions traditionnelles. Ces nouveaux acteurs, moins contraints par des structures de coûts lourdes, proposent souvent des conditions plus avantageuses et des processus simplifiés.

L’affacturage inversé (reverse factoring) et l’affacturage collaboratif représentent également des innovations susceptibles de modifier la dynamique des relations contractuelles. Ces modèles, qui impliquent activement les grands donneurs d’ordre dans le processus de financement de leurs fournisseurs, rééquilibrent partiellement le rapport de forces en faveur des PME.

Sur le plan des pratiques commerciales, on observe une tendance à la standardisation et à la transparence accrue des contrats d’affacturage. Sous l’impulsion des associations professionnelles comme l’Association Française des Sociétés Financières (ASF), plusieurs factors ont adopté des chartes de bonnes pratiques qui prévoient notamment :

  • Une information précontractuelle renforcée sur les tarifs et conditions
  • Des engagements sur les délais de traitement des dossiers et de mise à disposition des fonds
  • Des procédures de médiation interne en cas de litige
  • Des préavis minimaux en cas de modification des conditions contractuelles

Le développement de l’affacturage sans recours (non-recourse factoring), où le factor assume pleinement le risque d’insolvabilité du débiteur, contribue également à rééquilibrer la relation en limitant les possibilités pour le factor de se retourner contre l’entreprise adhérente en cas d’impayé.

Dans une perspective plus large, l’évolution de la jurisprudence pourrait conduire à une reconnaissance plus systématique de la responsabilité des factors au titre du devoir de conseil. Plusieurs décisions récentes ont en effet sanctionné des factors pour avoir proposé des solutions de financement inadaptées aux besoins réels et à la situation financière de leurs clients, créant ainsi une obligation de vigilance renforcée à leur charge.

Enfin, la prise en compte croissante des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) dans le secteur financier pourrait favoriser l’émergence de pratiques commerciales plus équitables. Certains factors commencent à intégrer dans leur politique commerciale des engagements en matière de responsabilité sociétale qui incluent le traitement équitable des partenaires commerciaux, particulièrement les PME.

Ces différentes évolutions dessinent les contours d’un modèle de factoring plus équilibré, où la protection contre les abus de dépendance économique s’articule avec la nécessaire liberté contractuelle et la maîtrise légitime des risques par les établissements financiers. L’enjeu demeure de préserver l’efficacité économique de ce mécanisme de financement tout en garantissant des relations contractuelles loyales et équilibrées.