De l’accident mortel à l’homicide involontaire : analyse juridique d’une requalification aux conséquences majeures

La frontière entre un simple accident de la circulation et une infraction pénale d’homicide involontaire peut parfois sembler ténue. Pourtant, les implications juridiques, procédurales et humaines de cette requalification sont considérables. Chaque année en France, des centaines d’affaires initialement traitées comme de simples accidents routiers mortels font l’objet d’une analyse approfondie par les magistrats qui peuvent y déceler les éléments constitutifs d’un homicide involontaire. Cette transformation modifie radicalement la nature du dossier, les peines encourues et le parcours judiciaire des personnes impliquées. Notre analyse juridique détaillée explore les mécanismes, critères et conséquences de cette requalification qui place les notions de faute, de causalité et de responsabilité au cœur du débat judiciaire.

Fondements juridiques de la requalification en homicide involontaire

La requalification d’un accident de la circulation en homicide involontaire repose sur un cadre légal précis, défini principalement par l’article 221-6 du Code pénal. Cet article stipule que « le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ». Cette définition pose les bases de la distinction entre un simple accident et une infraction pénale.

La jurisprudence a progressivement affiné les critères permettant d’opérer cette requalification. La Cour de cassation a notamment précisé dans plusieurs arrêts de principe que la faute pénale peut être constituée même en l’absence d’infraction au Code de la route, dès lors qu’une imprudence caractérisée peut être établie. Ainsi, dans un arrêt du 29 mai 2019, la chambre criminelle a confirmé la condamnation d’un conducteur pour homicide involontaire alors même qu’il respectait les limitations de vitesse, considérant que les conditions météorologiques imposaient une prudence accrue.

L’élément matériel de l’infraction requiert l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre la faute commise et le décès. Ce lien peut être direct (causalité immédiate) ou indirect (causalité médiate), comme l’a précisé la réforme du Code pénal de 1994. Dans ce dernier cas, la jurisprudence exige la démonstration d’une faute qualifiée, soit une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur ne pouvait ignorer.

Le procureur de la République joue un rôle déterminant dans cette requalification. Sur la base des éléments recueillis par les enquêteurs (police ou gendarmerie), il peut décider de poursuivre l’auteur présumé des faits pour homicide involontaire plutôt que de classer l’affaire comme un simple accident. Cette décision s’appuie généralement sur :

  • L’analyse des circonstances précises de l’accident
  • Les résultats des expertises techniques et médicales
  • Les témoignages recueillis
  • Le comportement de l’auteur présumé avant et après les faits

Le législateur a par ailleurs prévu des circonstances aggravantes spécifiques aux homicides involontaires résultant d’accidents de la circulation, énumérées dans l’article 221-6-1 du Code pénal. Ces circonstances incluent notamment la conduite sous l’emprise d’alcool ou de stupéfiants, la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence, le délit de fuite, ou encore l’absence de permis de conduire valide. La présence de telles circonstances porte les peines maximales à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, voire sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende en cas de cumul de plusieurs circonstances aggravantes.

Critères déterminants pour la requalification

La requalification d’un accident de la circulation en homicide involontaire ne s’effectue pas de manière automatique mais repose sur une analyse minutieuse de plusieurs facteurs clés. Les magistrats et enquêteurs s’attachent à déterminer si les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis, en particulier la caractérisation d’une faute pénale.

Le premier critère examiné concerne la nature et la gravité de la faute commise par le conducteur. Selon une jurisprudence constante, notamment illustrée par l’arrêt de la Chambre criminelle du 2 mars 2016, la faute pénale peut être constituée par la simple inobservation des règlements. Ainsi, le non-respect du Code de la route (excès de vitesse, non-respect des distances de sécurité, franchissement d’une ligne continue, etc.) constitue souvent le fondement premier de la requalification. Toutefois, même en l’absence d’infraction caractérisée aux règles de circulation, une imprudence ou une négligence peut suffire à caractériser l’élément moral de l’infraction.

Le second critère fondamental réside dans l’évaluation du lien de causalité entre la faute et le décès. Les tribunaux distinguent deux types de causalité :

  • La causalité directe : la faute a directement et immédiatement provoqué le décès
  • La causalité indirecte : la faute a contribué de façon non immédiate au décès

Dans le cas d’une causalité indirecte, la loi Fauchon du 10 juillet 2000 a introduit une exigence supplémentaire : la faute doit être soit une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité, soit une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur ne pouvait ignorer. Cette distinction s’avère particulièrement pertinente dans les accidents complexes impliquant plusieurs facteurs causaux.

L’état du conducteur au moment des faits constitue un troisième critère déterminant. La présence d’alcool ou de stupéfiants dans l’organisme du conducteur, même en l’absence d’autres infractions, conduit presque systématiquement à une requalification en homicide involontaire. Dans un arrêt du 5 octobre 2018, la Cour de cassation a confirmé que la conduite sous l’empire d’un état alcoolique caractérisait à elle seule une faute d’imprudence justifiant la qualification d’homicide involontaire, le conducteur ayant créé les conditions d’un accident mortel par son choix de prendre le volant dans cet état.

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Le comportement du conducteur après l’accident peut également influer sur la qualification juridique des faits. Une fuite, une tentative de dissimulation des preuves ou un refus de se soumettre aux vérifications (alcoolémie, usage de stupéfiants) sont susceptibles d’orienter les enquêteurs et le parquet vers une requalification pénale plus sévère.

Enfin, les expertises techniques jouent un rôle primordial dans la décision de requalification. Les analyses des experts en accidentologie permettent de reconstituer les circonstances précises de l’accident, d’évaluer les vitesses, les trajectoires et les possibilités d’évitement. L’exploitation des données des boîtes noires des véhicules modernes, des caméras de surveillance ou encore des smartphones fournit des éléments objectifs qui peuvent révéler des comportements fautifs non immédiatement perceptibles lors des premières constatations.

Le rôle prépondérant de l’expertise judiciaire

L’expertise judiciaire mérite une attention particulière car elle constitue souvent l’élément pivot dans la décision de requalification. Ordonnée par le juge d’instruction ou le procureur, elle vise à établir avec précision les circonstances techniques de l’accident et à déterminer les responsabilités. Les conclusions de l’expert, bien que non contraignantes pour le magistrat, orientent considérablement l’appréciation juridique des faits.

Procédure judiciaire et garanties pour les parties

La requalification d’un accident de la circulation en homicide involontaire entraîne un basculement procédural significatif qui impacte l’ensemble des acteurs concernés. Cette transformation modifie profondément le traitement judiciaire de l’affaire et les droits des parties impliquées.

Dès qu’une enquête préliminaire révèle des éléments susceptibles de caractériser un homicide involontaire, le procureur de la République dispose de plusieurs options procédurales. Il peut décider d’ouvrir une information judiciaire, particulièrement dans les cas complexes nécessitant des investigations approfondies. Cette décision entraîne la désignation d’un juge d’instruction qui mènera l’enquête avec des pouvoirs d’investigation étendus. Alternativement, le procureur peut opter pour une comparution immédiate dans les cas les plus simples ou une convocation par procès-verbal lorsque les faits semblent établis mais ne justifient pas une comparution immédiate.

La requalification en homicide involontaire modifie substantiellement les droits de la personne mise en cause. Celle-ci peut se voir placée sous contrôle judiciaire, avec des obligations spécifiques comme l’interdiction de conduire ou l’obligation de se soumettre à des soins. Dans les cas les plus graves, notamment en présence de circonstances aggravantes multiples ou d’un risque de fuite, une détention provisoire peut être ordonnée par le juge des libertés et de la détention. Cette mesure reste toutefois exceptionnelle en matière d’homicide involontaire routier.

Pour la personne mise en cause, le passage du statut de simple conducteur impliqué dans un accident à celui de mis en examen ou de prévenu pour homicide involontaire s’accompagne néanmoins de garanties procédurales renforcées :

  • Le droit à l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue
  • L’accès au dossier de la procédure
  • La possibilité de solliciter des actes d’investigation complémentaires
  • Le droit de contester les expertises par une contre-expertise

Du côté des victimes – principalement les proches de la personne décédée – la requalification ouvre des droits procéduraux considérables. Elles peuvent se constituer partie civile, soit par intervention à l’audience, soit par voie d’action en cas d’inaction du ministère public. Ce statut leur confère plusieurs prérogatives :

En cas d’information judiciaire, les parties civiles peuvent demander au juge d’instruction d’ordonner tout acte permettant d’apprécier la nature et l’importance des préjudices subis ou d’établir les circonstances de l’infraction. L’article 81-1 du Code de procédure pénale leur permet notamment de solliciter une expertise médicale ou technique. Le refus du magistrat instructeur doit être motivé et peut faire l’objet d’un appel devant la chambre de l’instruction.

La loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes a considérablement amélioré l’information des parties civiles qui doivent désormais être avisées de leurs droits à chaque étape de la procédure. Elles peuvent être assistées par une association d’aide aux victimes conventionnée, dont les coordonnées doivent leur être communiquées par les autorités judiciaires.

Les délais de procédure constituent un aspect non négligeable des affaires d’homicide involontaire routier. La complexité des investigations techniques et médicales peut allonger considérablement la durée de l’instruction, parfois sur plusieurs années. Cette temporalité, souvent difficile à vivre pour les familles des victimes comme pour la personne mise en cause, répond néanmoins à une exigence de rigueur dans l’établissement des faits et des responsabilités. Le tribunal correctionnel, juridiction compétente pour juger les délits d’homicide involontaire, n’est saisi qu’au terme de ce processus d’instruction.

Les voies alternatives aux poursuites

Dans certains cas spécifiques, notamment lorsque la faute apparaît de faible gravité ou que les circonstances particulières le justifient, le procureur peut proposer des mesures alternatives aux poursuites classiques. La composition pénale ou la médiation pénale peuvent ainsi être envisagées, bien que ces dispositifs restent peu utilisés en matière d’homicide involontaire routier en raison de la gravité intrinsèque de l’infraction.

Sanctions pénales et aggravation progressive des peines

L’évolution législative en matière d’homicide involontaire résultant d’accidents de la circulation témoigne d’un durcissement progressif des sanctions, reflet d’une prise de conscience collective de la gravité des comportements dangereux sur la route. Cette tendance s’inscrit dans le cadre plus large des politiques de sécurité routière qui ont fait de la lutte contre la mortalité sur les routes une priorité nationale.

Le régime des sanctions applicable à l’homicide involontaire routier s’articule autour d’un système à plusieurs niveaux de gravité. Dans sa forme simple, sans circonstance aggravante, l’homicide involontaire est puni par l’article 221-6 du Code pénal de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Ce premier niveau concerne typiquement des fautes d’inattention, des erreurs d’appréciation ou des négligences ponctuelles ayant entraîné un décès.

L’article 221-6-1 du Code pénal, introduit par la loi du 12 juin 2003 relative à la violence routière, a créé un régime spécifique d’aggravation pour les homicides involontaires commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule. Les peines sont ainsi portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende en présence d’une des circonstances aggravantes suivantes :

  • La violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence
  • La conduite sous l’empire d’un état alcoolique (taux d’alcool supérieur ou égal à 0,8 g/l dans le sang)
  • La conduite après usage de stupéfiants
  • La conduite sans permis valide
  • Le dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h
  • Le délit de fuite
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La loi du 18 novembre 2016 a encore renforcé ce dispositif en portant les peines à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque plusieurs de ces circonstances aggravantes sont réunies. Cette gradation reflète la volonté du législateur de sanctionner plus sévèrement les comportements les plus dangereux et les plus répréhensibles.

Au-delà des peines principales d’emprisonnement et d’amende, les tribunaux correctionnels disposent d’un arsenal de peines complémentaires particulièrement adaptées à la spécificité des infractions routières. L’article 221-8 du Code pénal prévoit notamment :

La suspension ou l’annulation du permis de conduire, avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant une durée pouvant atteindre dix ans. Dans une décision du 15 janvier 2020, la Cour de cassation a confirmé que cette peine pouvait être prononcée même lorsque l’accident n’était pas directement lié à une infraction au Code de la route, dès lors qu’il résultait d’une imprudence dans la conduite du véhicule.

L’interdiction de conduire certains véhicules, y compris ceux ne nécessitant pas de permis, pour une durée maximale de cinq ans. Cette sanction vise à prévenir tout risque de récidive en limitant strictement l’accès du condamné à la conduite, quelle que soit la catégorie du véhicule concerné.

L’obligation d’accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière à ses frais. Cette mesure, à visée pédagogique, s’inscrit dans une démarche de prévention de la récidive par la prise de conscience des risques liés à certains comportements au volant.

La confiscation du véhicule ayant servi à commettre l’infraction, mesure particulièrement dissuasive introduite par la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

En pratique, les juridictions correctionnelles font preuve d’une grande diversité dans l’application de ces sanctions. L’analyse des décisions rendues révèle une tendance à l’individualisation des peines en fonction du profil du prévenu, de son attitude à l’audience, de ses antécédents et des circonstances précises de l’accident. Les statistiques du Ministère de la Justice indiquent que les peines d’emprisonnement prononcées pour homicide involontaire routier sont majoritairement assorties d’un sursis, total ou partiel, sauf en présence de circonstances aggravantes multiples ou d’un état de récidive.

L’émergence de nouvelles formes de sanctions

La justice restaurative, introduite en droit français par la loi du 15 août 2014, offre un cadre novateur pour aborder les conséquences des homicides involontaires routiers. Ces mesures, qui peuvent prendre la forme de médiations entre l’auteur et les proches de la victime ou de conférences restauratives, visent à permettre une réparation morale au-delà de la simple sanction pénale. Bien que encore peu développées en France dans le domaine des accidents de la route, ces pratiques gagnent progressivement du terrain, notamment sous l’impulsion d’associations de victimes.

Indemnisation des victimes et responsabilité civile : un régime distinct mais complémentaire

La requalification d’un accident de la circulation en homicide involontaire modifie considérablement le cadre pénal applicable, mais n’affecte pas fondamentalement le régime d’indemnisation des ayants droit de la victime. Cette dualité des régimes de responsabilité – pénale d’une part, civile d’autre part – constitue une caractéristique majeure du traitement juridique des accidents mortels de la circulation.

Le droit à indemnisation des proches de la victime décédée repose principalement sur la loi Badinter du 5 juillet 1985, texte fondateur qui a instauré un régime spécifique d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation. Ce dispositif, codifié aux articles L. 211-1 et suivants du Code des assurances, présente plusieurs particularités qui le distinguent du droit commun de la responsabilité civile.

La première spécificité réside dans le caractère quasi-automatique de l’indemnisation. Contrairement au régime de responsabilité pénale qui exige la démonstration d’une faute, la loi Badinter établit un système fondé sur l’implication du véhicule dans l’accident. L’article 2 de cette loi dispose en effet que les victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute, à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident.

Pour les ayants droit de la victime décédée, ce principe se traduit par une indemnisation de principe de leurs préjudices propres, indépendamment de la qualification pénale retenue pour l’accident. Ainsi, même si la procédure pénale aboutit à un non-lieu ou à une relaxe, les proches conservent leur droit à indemnisation civile dès lors que l’implication du véhicule dans l’accident est établie.

Les préjudices indemnisables pour les proches de la victime décédée sont multiples et ont été progressivement précisés par la jurisprudence et la nomenclature Dintilhac. Ils comprennent notamment :

  • Le préjudice d’affection, qui répare la souffrance morale liée à la perte d’un être cher
  • Le préjudice d’accompagnement, qui indemnise les perturbations dans les conditions d’existence des proches pendant la maladie traumatique jusqu’au décès
  • Les préjudices patrimoniaux comme la perte de revenus du foyer ou les frais funéraires

La procédure d’indemnisation suit un cheminement précis encadré par les articles R. 211-29 à R. 211-44 du Code des assurances. L’assureur du véhicule impliqué doit présenter une offre d’indemnisation dans un délai de huit mois à compter de l’accident. Cette offre doit comprendre tous les éléments indemnisables du préjudice, sous peine de sanctions.

Lorsque l’accident fait l’objet d’une requalification en homicide involontaire et d’une procédure pénale, les ayants droit peuvent choisir d’exercer leur action civile en réparation soit devant la juridiction pénale (par voie de constitution de partie civile), soit devant la juridiction civile. Cette option, prévue par l’article 4 du Code de procédure pénale, leur permet d’adapter leur stratégie procédurale à leurs objectifs et aux circonstances de l’affaire.

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Le choix de la voie pénale présente plusieurs avantages pour les proches de la victime. Il permet d’abord une économie procédurale, puisqu’une seule instance traitera des aspects pénaux et civils du dossier. Il offre ensuite un accès facilité à la preuve, les proches bénéficiant des investigations menées dans le cadre de l’instruction pénale. Enfin, il répond souvent à un besoin psychologique de reconnaissance de la faute et de la responsabilité du conducteur dans le décès de leur proche.

A l’inverse, la saisine du tribunal judiciaire au civil peut s’avérer préférable lorsque les proches souhaitent une indemnisation rapide, sans attendre l’issue parfois lointaine du procès pénal. La jurisprudence a d’ailleurs consacré le principe selon lequel le juge civil n’est pas tenu de surseoir à statuer dans l’attente de la décision pénale en matière d’accident de la circulation, en application de l’article 4-1 du Code de procédure pénale issu de la loi du 8 juillet 2000.

Dans tous les cas, l’indemnisation est généralement prise en charge par l’assureur du véhicule impliqué, au titre de la garantie responsabilité civile obligatoire. Toutefois, la requalification pénale en homicide involontaire peut avoir des conséquences indirectes sur cette indemnisation. En effet, en présence de certaines circonstances aggravantes comme la conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou après usage de stupéfiants, l’assureur peut exercer un recours contre son assuré après avoir indemnisé les victimes, en application de l’article R. 211-13 du Code des assurances.

Le rôle du Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires (FGAO)

Dans certaines situations particulières, notamment lorsque l’auteur de l’accident n’est pas assuré ou n’a pas été identifié (délit de fuite), le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires intervient pour assurer l’indemnisation des ayants droit. Cette intervention, prévue par les articles L. 421-1 et suivants du Code des assurances, garantit que les proches de la victime ne seront pas privés d’indemnisation du fait de l’insolvabilité ou de la défaillance du responsable.

Vers une responsabilité pénale élargie : nouveaux enjeux et perspectives d’évolution

Le cadre juridique de la requalification des accidents de la circulation en homicide involontaire connaît des évolutions significatives, sous l’influence de facteurs sociétaux, technologiques et jurisprudentiels. Ces transformations dessinent les contours d’une responsabilité pénale potentiellement élargie, répondant aux attentes accrues de la société en matière de sécurité routière.

L’émergence des véhicules autonomes constitue un premier défi majeur pour le droit pénal routier traditionnel. Ces véhicules, dotés de systèmes de conduite partiellement ou totalement automatisés, bouleversent la notion même de conducteur et, par conséquent, celle de responsabilité en cas d’accident mortel. La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 a posé les premiers jalons d’un cadre juridique adapté, en prévoyant notamment un régime d’autorisation pour les systèmes de conduite automatisés et en ouvrant la voie à une responsabilité du fabricant. L’article L. 123-1 du Code de la route issu de cette loi stipule ainsi que « la circulation sur la voie publique de véhicules à délégation partielle ou totale de conduite ne peut être autorisée qu’après délivrance d’une autorisation destinée à assurer la sécurité de leur circulation ».

Dans cette configuration inédite, la requalification d’un accident en homicide involontaire pourrait concerner non plus seulement le conducteur, mais également le concepteur du système, le fabricant du véhicule ou l’opérateur de maintenance. Une telle extension de la responsabilité pénale soulève des questions complexes sur la chaîne causale et l’imputation de la faute, que les tribunaux commencent à peine à explorer.

Un deuxième axe d’évolution concerne la prise en compte croissante des facteurs systémiques dans l’analyse des accidents mortels. Au-delà de la responsabilité individuelle du conducteur, la jurisprudence récente tend à examiner la responsabilité des acteurs institutionnels impliqués dans la sécurité routière. Ainsi, dans un arrêt du 7 juillet 2020, la Cour de cassation a confirmé la condamnation pour homicide involontaire d’une collectivité territoriale dont la négligence dans l’entretien de la signalisation routière avait contribué à un accident mortel. Cette approche élargie de la causalité ouvre la voie à des poursuites contre les gestionnaires d’infrastructures routières, les autorités chargées de la réglementation ou encore les employeurs dans le cadre des accidents de trajet.

La question des distracteurs au volant, notamment l’usage du téléphone portable et des systèmes multimédias embarqués, constitue un troisième facteur d’évolution. La jurisprudence tend à considérer avec une sévérité croissante ces comportements, reconnaissant leur caractère particulièrement dangereux. Dans un arrêt du 13 novembre 2019, la chambre criminelle a ainsi validé une condamnation pour homicide involontaire aggravé d’un conducteur qui consultait son téléphone au moment de l’accident, estimant que cette distraction caractérisait une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence.

L’influence du droit européen constitue un quatrième vecteur de transformation du cadre juridique national. La directive 2015/413/UE facilitant l’échange transfrontalier d’informations concernant les infractions en matière de sécurité routière a renforcé la coopération entre États membres pour la poursuite des infractions routières. Cette évolution facilite la requalification en homicide involontaire d’accidents transfrontaliers, en permettant une meilleure identification des auteurs et une circulation plus fluide des preuves entre juridictions nationales.

Enfin, l’évolution des techniques d’enquête et des moyens de preuve transforme profondément la capacité des autorités à caractériser les éléments constitutifs de l’homicide involontaire. L’exploitation des données numériques issues des véhicules (systèmes EDR ou « boîtes noires »), des smartphones, des objets connectés ou des caméras de surveillance permet désormais de reconstituer avec une précision inédite les circonstances des accidents et le comportement des conducteurs dans les instants précédant le choc. Cette révolution probatoire facilite la démonstration de la faute et du lien de causalité, éléments essentiels de la requalification.

Les enjeux éthiques de l’élargissement de la responsabilité pénale

Cette tendance à l’élargissement du champ de la responsabilité pénale en matière d’accidents mortels de la circulation soulève des questions éthiques fondamentales. La frontière entre la faute pénalement répréhensible et le simple aléa inhérent à toute activité humaine devient parfois ténue, posant la question de la place du risque acceptable dans notre société. Le principe de précaution, initialement développé en droit de l’environnement, semble progressivement irriguer le droit pénal routier, conduisant à une exigence accrue de prévention des risques même incertains.

Cette évolution, si elle répond à une demande sociale légitime de sécurité, doit néanmoins préserver les principes fondamentaux du droit pénal, notamment la présomption d’innocence et l’interprétation stricte de la loi pénale. L’équilibre entre répression des comportements dangereux et respect des libertés individuelles constitue ainsi l’un des défis majeurs auxquels sera confrontée la jurisprudence dans les années à venir.