La restructuration des Sociétés Civiles de Placement Immobilier (SCPI) par fusion-absorption représente une opération stratégique majeure dans le paysage de l’investissement immobilier non coté. Cette manœuvre, motivée par des considérations économiques et financières, soulève des questions fiscales complexes tant pour les associés que pour les sociétés elles-mêmes. Entre régime de faveur et imposition de droit commun, le traitement fiscal des fusions de SCPI obéit à des règles spécifiques qui peuvent significativement impacter la rentabilité des investissements. Ce guide juridique approfondi analyse les mécanismes fiscaux applicables, les obligations déclaratives, et les stratégies d’optimisation dans le cadre de ces opérations de restructuration particulières.
Cadre Juridique et Fiscal des Opérations de Fusion-Absorption de SCPI
La fusion-absorption entre SCPI constitue une opération juridique encadrée tant par le Code monétaire et financier que par le Code général des impôts. Cette opération se caractérise par la transmission universelle du patrimoine d’une société absorbée vers une société absorbante, entraînant la dissolution sans liquidation de la première.
Sur le plan juridique, les fusions de SCPI sont régies principalement par les articles L.214-114 et suivants du Code monétaire et financier. Ces dispositions prévoient notamment que tout projet de fusion doit être soumis à l’approbation de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et faire l’objet d’une information préalable des associés. La procédure implique la rédaction d’un traité de fusion détaillant les modalités de l’opération, incluant la parité d’échange des parts et l’évaluation des actifs transmis.
Du point de vue fiscal, ces opérations peuvent bénéficier du régime spécial des fusions prévu par l’article 210 A du Code général des impôts. Ce régime offre un cadre fiscal avantageux, permettant de réaliser l’opération en neutralité fiscale sous certaines conditions. Pour les SCPI, qui sont fiscalement transparentes, l’application de ce régime présente des particularités significatives qu’il convient de maîtriser.
Conditions d’éligibilité au régime de faveur
Pour bénéficier du régime spécial des fusions, plusieurs conditions cumulatives doivent être respectées :
- La SCPI absorbante doit s’engager à conserver les biens transmis pendant une durée minimale de trois ans
- Elle doit reprendre à son passif les provisions dont l’imposition est différée
- Elle doit se substituer à la société absorbée pour la réintégration des résultats dont l’imposition aurait été différée
- Elle doit calculer les plus-values réalisées ultérieurement sur les éléments d’actif non amortissables reçus d’après leur valeur fiscale dans les écritures de la société absorbée
Le non-respect de ces engagements peut entraîner la déchéance du régime de faveur, avec application rétroactive du régime de droit commun et sanctions fiscales potentielles. Les sociétés de gestion doivent donc porter une attention particulière au respect de ces obligations.
Par ailleurs, l’opération doit être justifiée par un motif économique légitime et ne pas avoir comme objectif principal la fraude ou l’évasion fiscales. L’administration fiscale dispose de pouvoirs étendus pour requalifier les opérations qu’elle considérerait comme abusives sur le fondement de l’abus de droit fiscal (article L.64 du Livre des procédures fiscales).
La fusion doit faire l’objet d’une déclaration spéciale (formulaire 2069-E) à joindre à la déclaration de résultats de l’exercice au cours duquel l’opération a été réalisée. Cette formalité constitue une condition substantielle pour bénéficier du régime de faveur.
Implications Fiscales pour les Associés Personnes Physiques
Les conséquences fiscales d’une fusion-absorption de SCPI varient considérablement selon le statut des associés et leur régime d’imposition. Pour les associés personnes physiques, plusieurs aspects méritent une attention particulière.
L’échange de parts consécutif à la fusion est susceptible de générer une plus-value imposable. Toutefois, l’article 150-0 B du Code général des impôts prévoit un mécanisme de sursis d’imposition automatique. Cette disposition permet de différer l’imposition jusqu’à la cession ultérieure des parts reçues en échange, à condition que l’opération soit réalisée à la valeur réelle des titres. Ce sursis d’imposition ne constitue pas une exonération définitive mais un report de l’obligation fiscale.
Pour le calcul de la plus-value lors de la revente ultérieure des parts, la date et le prix d’acquisition retenus sont ceux des parts d’origine, ce qui préserve l’antériorité fiscale. Cette règle s’avère particulièrement avantageuse dans le cadre de l’application des abattements pour durée de détention prévus par l’article 150-0 D du Code général des impôts.
Traitement des distributions pendant la période de fusion
Les revenus fonciers générés par la SCPI absorbée jusqu’à la date effective de fusion restent imposables entre les mains des associés selon les règles habituelles. La société de gestion doit établir une déclaration spécifique pour la période courant du début de l’exercice jusqu’à la date de réalisation de la fusion.
Une attention particulière doit être portée au traitement des acomptes sur dividendes versés pendant la période d’absorption. Ces sommes conservent leur qualification fiscale d’origine (revenus fonciers ou produits financiers selon leur source) et doivent être déclarées par les associés pour l’année de leur perception.
Dans certains cas, la fusion peut entraîner le versement d’une soulte pour ajuster la parité d’échange. Le traitement fiscal de cette soulte mérite une vigilance particulière :
- Si la soulte n’excède pas 10% de la valeur nominale des parts attribuées, le sursis d’imposition s’applique également à cette somme
- Si elle dépasse ce seuil, la soulte est traitée comme un prix de cession partielle des parts et imposée immédiatement selon le régime des plus-values
Pour les associés non-résidents, le traitement fiscal dépend des conventions fiscales internationales applicables. En l’absence de disposition conventionnelle spécifique, les règles françaises s’appliquent avec des particularités concernant les taux d’imposition et les modalités de recouvrement.
Les obligations déclaratives des associés comprennent notamment la mention de l’opération d’échange dans la déclaration des plus-values (formulaire 2074) de l’année de réalisation de la fusion, même en l’absence d’imposition immédiate. Cette formalité est indispensable pour sécuriser le bénéfice du sursis d’imposition.
Traitement Fiscal des SCPI Impliquées dans l’Opération
Les SCPI présentent une particularité fiscale fondamentale : elles sont soumises au régime de la transparence fiscale selon l’article 8 du Code général des impôts. Cette caractéristique influe directement sur le traitement fiscal des opérations de fusion-absorption.
Pour la SCPI absorbée, la fusion entraîne la constatation de plus-values latentes sur les actifs immobiliers transmis. En application du régime spécial des fusions, ces plus-values bénéficient d’un sursis d’imposition. Cependant, certaines réintégrations fiscales peuvent être nécessaires, notamment concernant les provisions antérieurement constituées.
La SCPI absorbante doit prendre plusieurs engagements fiscaux conformément à l’article 210 A du Code général des impôts. Elle s’engage notamment à reprendre à son bilan les éléments d’actif de la société absorbée pour leur valeur comptable. Pour les immeubles, cette reprise implique la poursuite du plan d’amortissement initial, ce qui peut avoir des conséquences sur la politique de distribution future.
Traitement des déficits fiscaux
Le sort des déficits fiscaux antérieurs constitue un enjeu majeur dans les opérations de fusion. Pour les SCPI, le traitement diffère selon la nature des déficits :
- Les déficits fonciers générés par la SCPI absorbée sont en principe transmissibles aux associés qui les ont supportés
- Les déficits financiers suivent des règles plus restrictives et peuvent être perdus en cas de fusion
L’administration fiscale examine avec attention le respect du principe de transparence fiscale dans ces transferts de déficits. Une restructuration motivée principalement par la volonté de transférer des déficits pourrait être remise en cause sur le fondement de l’abus de droit.
La fusion peut également avoir des incidences sur les amortissements différés et les provisions réglementées. La SCPI absorbante doit s’engager à les réintégrer selon le plan initial prévu par la société absorbée.
En matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l’article 257 bis du Code général des impôts prévoit une dispense de taxation pour les livraisons de biens et les prestations de services réalisées entre redevables de la TVA dans le cadre d’une transmission d’universalité de patrimoine. Cette disposition simplifie considérablement le traitement TVA de l’opération, mais impose des obligations formelles strictes, notamment la mention expresse de cette dispense sur les actes de cession.
Concernant les droits d’enregistrement, les fusions de SCPI bénéficient généralement d’un régime de faveur prévu par l’article 816 du Code général des impôts, avec application d’un droit fixe de 500 euros. Toutefois, ce régime est subordonné à certaines conditions, notamment l’absence de prise en charge d’un passif excédentaire.
Optimisation Fiscale et Points de Vigilance dans les Fusions de SCPI
La fusion-absorption de SCPI offre diverses opportunités d’optimisation fiscale, mais comporte également des risques qu’il convient d’anticiper. Une planification rigoureuse permet de maximiser les avantages tout en sécurisant l’opération.
Le choix du sens de la fusion constitue un levier d’optimisation primordial. La détermination de la société absorbante et de la société absorbée peut être guidée par des considérations fiscales, notamment :
- La présence de déficits reportables significatifs dans l’une des entités
- Les régimes fiscaux respectifs des sociétés (SCPI fiscale vs SCPI de rendement)
- L’existence de plus-values latentes importantes sur certains actifs
La date d’effet de la fusion représente également un paramètre stratégique. Une fusion avec effet rétroactif au premier jour de l’exercice peut simplifier les obligations comptables et fiscales, mais peut également présenter des inconvénients en termes de valorisation des actifs.
La parité d’échange des parts sociales doit être établie avec une attention particulière. Une parité inadéquate peut générer des contestations de la part des associés ou de l’administration fiscale. L’intervention d’un commissaire à la fusion indépendant constitue une garantie précieuse pour sécuriser cet aspect de l’opération.
Risques de requalification et contentieux potentiels
L’administration fiscale dispose de plusieurs fondements juridiques pour remettre en cause une fusion qu’elle jugerait abusive :
- L’abus de droit fiscal (article L.64 du Livre des procédures fiscales) pour les opérations à but exclusivement fiscal
- L’acte anormal de gestion si l’opération va à l’encontre de l’intérêt social
- La fraude à la loi en cas de montage artificiel
Pour sécuriser l’opération, il est recommandé de constituer un dossier solide justifiant les motivations économiques de la fusion : économies d’échelle, rationalisation de la gestion, amélioration de la liquidité des parts, diversification du patrimoine, etc.
Le rescrit fiscal prévu par l’article L.80 B du Livre des procédures fiscales peut constituer un outil précieux pour obtenir une position formelle de l’administration sur le traitement fiscal envisagé. Cette démarche préventive permet de sécuriser l’opération en amont.
Dans la pratique, une attention particulière doit être portée aux clauses d’agrément prévues dans les statuts des SCPI concernées. Ces dispositions peuvent compliquer la réalisation de la fusion et nécessiter des adaptations statutaires préalables.
L’information des associés constitue un point crucial tant sur le plan juridique que fiscal. Une communication transparente sur les conséquences fiscales de l’opération permet de prévenir d’éventuels contentieux ultérieurs. Cette information doit être particulièrement détaillée concernant l’impact sur les revenus fonciers, les plus-values latentes et les obligations déclaratives.
Évolutions Jurisprudentielles et Perspectives du Traitement Fiscal des Fusions de SCPI
Le cadre fiscal des fusions de SCPI a connu d’importantes évolutions jurisprudentielles et doctrinales ces dernières années. Ces développements, souvent issus de contentieux relatifs à d’autres véhicules d’investissement, ont par extension impacté le traitement des opérations concernant les SCPI.
La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu plusieurs décisions structurantes concernant l’application de la directive fusion (2009/133/CE) aux opérations transfrontalières. Bien que les SCPI opèrent principalement dans un cadre national, ces jurisprudences peuvent influencer l’interprétation des dispositions fiscales françaises, notamment en matière de sursis d’imposition et de neutralité fiscale.
Au niveau national, le Conseil d’État a précisé dans plusieurs arrêts les conditions d’application du régime spécial des fusions. La décision CE, 8ème et 3ème ch., 26 janvier 2021, n°439856, apporte notamment des éclaircissements sur la notion de motif économique justifiant l’opération, élément déterminant pour bénéficier du régime de faveur.
Réformes fiscales récentes et leur impact
La loi de finances pour 2022 a introduit plusieurs modifications susceptibles d’impacter le traitement fiscal des fusions de SCPI :
- Aménagement du régime des plus-values immobilières avec modification des taux d’abattement pour durée de détention
- Évolution des règles relatives à la taxe sur les plus-values immobilières élevées
- Modifications concernant les obligations déclaratives des sociétés à prépondérance immobilière
Ces évolutions législatives nécessitent une vigilance accrue des sociétés de gestion dans la planification des opérations de restructuration.
Par ailleurs, la doctrine administrative a été enrichie par plusieurs rescrits et instructions concernant les opérations de fusion impliquant des sociétés fiscalement translucides. Le BOFiP (BOI-IS-FUS-10-20-40) a notamment précisé les modalités d’application du régime spécial aux sociétés de personnes.
L’évolution des pratiques de marché témoigne d’une sophistication croissante des opérations de fusion-absorption entre SCPI. Les montages incluent désormais fréquemment des étapes préparatoires (apports partiels d’actifs, scissions) visant à optimiser le traitement fiscal global.
Dans une perspective internationale, le développement des SCPI investissant à l’étranger soulève des questions complexes en cas de fusion. Le traitement des crédits d’impôt pour fiscalité étrangère et l’articulation des conventions fiscales avec le régime des fusions constituent des enjeux majeurs pour les opérations transfrontalières.
Les réformes à venir pourraient modifier substantiellement le paysage fiscal des fusions de SCPI. Plusieurs pistes sont actuellement à l’étude :
- Harmonisation du traitement fiscal des différents véhicules d’investissement immobilier (SCPI, OPCI, SCI)
- Simplification des obligations déclaratives liées aux opérations de restructuration
- Adaptation du régime fiscal aux nouvelles formes de SCPI (SCPI à capital variable, SCPI européennes)
Face à ces évolutions, les professionnels du secteur doivent adopter une approche proactive, en anticipant les changements réglementaires et en adaptant leurs stratégies de restructuration en conséquence.
Stratégies Pratiques pour une Fusion-Absorption Fiscalement Optimisée
La réussite d’une fusion-absorption entre SCPI repose sur une méthodologie rigoureuse intégrant les dimensions fiscales dès la phase de conception du projet. Une approche structurée permet d’identifier les opportunités d’optimisation tout en maîtrisant les risques fiscaux.
La phase préparatoire de l’opération revêt une importance capitale. Elle doit comporter une due diligence fiscale approfondie des deux sociétés, permettant d’identifier :
- Les risques fiscaux latents (contrôles en cours, positions fiscales incertaines)
- Les actifs immobiliers présentant des plus-values latentes significatives
- Les déficits reportables et leur transmissibilité
- Les engagements fiscaux en cours (engagement de conservation, option pour un régime particulier)
Le calendrier de l’opération constitue un levier d’optimisation substantiel. Il convient notamment d’analyser l’impact fiscal de la date de réalisation définitive de la fusion, en tenant compte des échéances de détention des immeubles (pour les abattements pour durée de détention) et des perspectives d’évolution législative.
La structuration juridique de l’opération peut être adaptée pour répondre aux objectifs fiscaux. Plusieurs schémas peuvent être envisagés :
Fusion directe vs opérations préparatoires
Dans certaines situations, une fusion directe peut s’avérer sous-optimale sur le plan fiscal. Des opérations préparatoires peuvent alors être envisagées :
- Apport partiel d’actifs permettant d’isoler certains immeubles avant la fusion
- Scission préalable de la société absorbée pour ne fusionner qu’une partie du patrimoine
- Cession d’actifs spécifiques avant fusion pour cristalliser certaines plus-values dans un contexte fiscal favorable
La documentation juridique de l’opération doit intégrer des clauses spécifiques sécurisant le traitement fiscal. Le traité de fusion doit notamment contenir les engagements fiscaux de la société absorbante prévus par l’article 210 A du Code général des impôts.
La communication aux associés représente un aspect crucial de l’opération. Elle doit inclure une présentation claire des conséquences fiscales de la fusion, tant immédiates que différées. Cette transparence contribue à prévenir les contentieux ultérieurs et facilite l’approbation du projet par les assemblées générales.
Le suivi post-fusion nécessite une attention particulière aux aspects fiscaux. La société de gestion doit mettre en place des procédures garantissant le respect des engagements pris dans le cadre du régime spécial des fusions, notamment :
- Suivi des immeubles soumis à engagement de conservation
- Traçabilité des valeurs fiscales d’origine des actifs transmis
- Réintégration des provisions selon le calendrier prévu
Pour les associés, la gestion fiscale post-fusion implique de conserver les informations relatives aux parts d’origine (date et prix d’acquisition) pour le calcul des plus-values lors des cessions ultérieures. La société de gestion a un rôle déterminant dans la fourniture de ces éléments historiques.
Dans un contexte de multiplication des opérations de consolidation sur le marché des SCPI, la maîtrise des aspects fiscaux devient un facteur différenciant pour les sociétés de gestion. Les meilleures pratiques incluent désormais une approche proactive de la dimension fiscale, intégrée dès la conception stratégique des opérations de restructuration.
L’accompagnement par des conseils spécialisés (avocats fiscalistes, commissaires aux comptes) constitue un facteur clé de succès, permettant d’identifier les opportunités d’optimisation tout en sécurisant le traitement fiscal global de l’opération.
